Parfois encensé, souvent critiqué, le Festival de Cannes cultive autant l’art cinématographique que la controverse. Retour sur une tradition de scandales qui façonne, depuis près d’un siècle, l’image d’un événement unique au monde.
À l’aube de sa 78e édition, le plus grand festival de cinéma au monde se prépare à accueillir une fois encore réalisateurs, stars et cinéphiles du monde entier. Mais derrière les projecteurs et les flashs des photographes, Cannes est aussi le théâtre d’excès, de tensions, de gestes politiques et de controverses devenues cultes. Car à Cannes, le scandale n’est pas un accident : il est une part intégrante de son ADN.
Quand la lumière expose les fractures
Le premier enseignement de cette histoire tumultueuse, c’est que le Festival de Cannes ne laisse personne indifférent. L’édition 1987, où Maurice Pialat reçoit une Palme d’Or sifflée pour Sous le soleil de Satan, révèle un paradoxe devenu familier : la dissonance entre la critique, le jury et le public. En plein sacre, le cinéaste n’hésite pas à défier la salle : « Je ne vous aime pas non plus. »
Un symbole de l’arrogance pour certains, une réponse légitime pour d’autres. Mais surtout, un moment où Cannes assume son rôle : confronter les visions, les goûts, les regards.
Des marches devenues tribunes
Cannes est un décor, mais aussi une scène. En 1995, des policiers tournent ostensiblement le dos à l’équipe du film La Haine, accusé de véhiculer une image à charge des forces de l’ordre. Trente ans plus tard, cette image reste l’une des plus fortes de l’histoire du Festival.
Même les marches du Palais, icônes de la mondanité, peuvent devenir des lieux de contestation. En 2016, Julia Roberts monte pieds nus pour protester contre l’obligation de porter des talons. Un acte sobre, mais puissamment symbolique, dans un univers encore verrouillé par des codes sexistes.

Le cinéma qui dérange
Certains films font vaciller les spectateurs. The Substance en 2024, Titane en 2021 ou Irréversible en 2002 ont provoqué vomissements, malaises, et parfois fuites précipitées hors de la salle. L’intensité visuelle et émotionnelle voulue par les réalisateurs comme Julia Ducournau ou Gaspar Noé questionne la limite du supportable — mais aussi le rôle d’un festival : montrer, choquer, déranger ?
Le scandale se mesure parfois à la violence des réactions : en 1994, Quentin Tarantino offre un doigt d’honneur à un spectateur outré par la Palme d’Or attribuée à Pulp Fiction. Là encore, Cannes devient une scène de confrontation entre création et opinion.

Le risque comme ligne de conduite
Cannes se distingue des autres grands festivals (Berlin, Venise, Toronto) par sa capacité à susciter le débat. Ce n’est pas un hasard si certains des plus grands films et des carrières les plus marquantes y ont été révélés dans la controverse. La Haine, Rosetta, Titane… Toutes ces œuvres ont divisé avant d’être consacrées.
Le Festival se nourrit de cette tension. Et s’il célèbre les grands maîtres, il n’oublie jamais d’offrir une tribune à ceux qui dérangent, improvisent ou refusent les codes. Comme Sophie Marceau en 1999, perdue dans un discours improvisé sur l’état du monde, interrompue en direct par la maîtresse de cérémonie.
Le prix de l’audace
À Cannes, la provocation n’est pas gratuite. Elle est parfois inconfortable, souvent nécessaire. Elle ouvre des brèches, révèle des non-dits, interroge une industrie encore en mutation. Car si Cannes brille, c’est aussi par ce qu’il fait émerger dans l’ombre des projecteurs : les tensions sociales, les crispations politiques, les luttes féministes, les crises artistiques.
Et chaque année, le même rituel : qui provoquera le prochain scandale ? La réponse viendra peut-être dès le 13 mai prochain.