Jusqu’au 13 juillet 2025, le Musée de la Libération de Paris consacre une exposition exceptionnelle à Daniel Cordier, figure inclassable de l’histoire contemporaine française. Tour à tour résistant, galeriste, amateur d’art et mémorialiste, il incarne une trajectoire marquée par un engagement profond et une quête incessante de liberté.
Né en 1920 à Bordeaux, Daniel Cordier grandit dans un milieu bourgeois et conservateur. Adolescent, il se passionne pour la politique et s’engage dans l’Action française, mouvement royaliste et nationaliste. Mais la défaite de 1940 et l’appel à l’armistice du maréchal Pétain provoquent une rupture brutale. En juin 1940, il rejoint Londres et s’engage dans la France libre, amorçant ainsi un virage décisif vers les valeurs républicaines.
Intégré aux services secrets de la France libre, il suit une formation intense en sabotage, en transmissions radio et en techniques d’infiltration. Parachuté en France en juillet 1942, il devient l’opérateur radio puis le secrétaire de Jean Moulin. Témoin privilégié des luttes internes de la Résistance, il observe de près la construction du Conseil National de la Résistance (CNR) sous l’impulsion de Moulin. Son engagement dans l’ombre, marqué par la clandestinité et le danger constant, forge son rapport à l’histoire et à la mémoire.

De la Résistance à l’art : une passion découverte au cœur de la guerre
L’histoire de l’art entre dans la vie de Daniel Cordier par une circonstance inattendue. Jean Moulin, lui-même passionné d’art moderne, lui offre Histoire de l’art contemporain de Christian Zervos, éveillant en lui une curiosité qui ne le quittera plus. Après la guerre, cet intérêt se mue en une véritable vocation.
S’il tente d’abord de devenir peintre, il se réoriente rapidement vers le commerce de l’art. Il ouvre sa première galerie en 1956 à Paris, puis développe une activité prolifique entre la France, Francfort et New York. En défendant des artistes tels que Jean Dubuffet, Henri Michaux ou Marcel Duchamp, il s’impose comme une figure incontournable du marché de l’art d’avant-garde. Sa collection, riche de milliers d’œuvres, sera progressivement cédée au Centre Pompidou et au musée des Abattoirs de Toulouse, témoignant de son souci de transmission et de partage.

L’historien de la mémoire et la reconnaissance tardive
Au fil des décennies, Daniel Cordier n’aura de cesse de défendre la mémoire de la Résistance, notamment celle de Jean Moulin. Il entreprend un travail colossal d’historien-mémorialiste, rassemblant des documents et publiant des ouvrages de référence, dont Alias Caracalla (2009), qui retrace avec minutie son expérience au sein de la France libre.
Son engagement tardif dans le champ de la mémoire s’accompagne d’une évolution politique. Monarchiste dans sa jeunesse, il devient un fervent défenseur de la démocratie et des valeurs républicaines. Il assume aussi publiquement son homosexualité à la fin de sa vie, ajoutant une dimension personnelle à son combat pour la liberté sous toutes ses formes.
Une exposition hommage : au croisement de l’histoire et de l’art
L’exposition du Musée de la Libération de Paris explore l’ensemble de ces facettes. A travers une centaine de pièces – archives secrètes, faux-papiers, manuscrits, œuvres d’art – elle déploie une narration immersive et analytique. Des objets militaires côtoient des tableaux de Duchamp et de Dubuffet, illustrant la richesse et la complexité du parcours de Cordier.

En collaborant avec plusieurs institutions, dont le Musée national d’Art moderne et le Musée de la Résistance de la Haute-Garonne, cette rétrospective souligne l’impact durable de cet homme d’exception. A travers ses combats, ses contradictions et ses passions, Daniel Cordier incarne une figure emblématique du XXe siècle, où l’engagement et l’art se répondent dans un dialogue permanent.
En redonnant vie à son parcours, cette exposition invite à une réflexion plus large sur la construction des mémoires collectives et individuelles. Elle rappelle que la liberté, sous toutes ses formes, se conquiert et se transmet, dans l’ombre comme sous la lumière.
Musée de la Libération de Paris • musée du général Leclerc • musée Jean Moulin. Exposition jusqu’au au 13 juillet 2025. Ouvert du mardi au dimanche, de 10h à 18h (fermeture le lundi). Tarifs : Entrée gratuite. Accès : Métro Denfert-Rochereau (lignes 4 et 6), RER B, bus 38, 68, 88. Plus de renseignements ici