Longtemps considérées comme peu élégantes, voire franchement inesthétiques, les chaussures dites « moches » s’imposent désormais dans l’univers de la mode. De la rue aux défilés, ces modèles hybrides et utilitaires réinventent les codes du bon goût.
Sandales en plastique, Crocs strassées, baskets techniques ou souliers à orteils : les « ugly shoes » sont partout. À contre-courant des standards esthétiques classiques, ces chaussures aux formes jugées disgracieuses connaissent un succès croissant depuis plusieurs saisons. En 2025, elles s’affichent sans complexe sur les podiums des maisons les plus prestigieuses et dans les garde-robes des personnalités les plus en vue.
Le phénomène ne relève plus de la provocation passagère. Ces dernières années, plusieurs marques de luxe ont contribué à légitimer des modèles autrefois moqués. Simone Rocha, Balenciaga, JW Anderson ou encore Marc Jacobs n’hésitent plus à intégrer ces pièces atypiques à leurs collections.

Les collaborations se multiplient : Crocs x Simone Rocha, Scholl x Balenciaga, New Balance x Miu Miu, UGG x Sacai, Salomon x MM6 Maison Margiela… Même Birkenstock, autrefois symbole du confort utilitaire, a gagné ses lettres de noblesse en rejoignant le portefeuille du groupe LVMH.
C’est une manière de détourner les normes du luxe en les confrontant à des objets du quotidien, à l’apparence banale voire rebutante
analyse un acheteur pour un grand concept store parisien.
La laideur devient ici un terrain de jeu stylistique.
Une logique de rupture et de distinction
Derrière l’esthétique étrange ou déroutante de ces chaussures, les créateurs recherchent avant tout l’effet de contraste. Le moche devient une déclaration. En chaussant des sabots de jardinage Plasticana ou des FiveFingers de Vibram, figures de mode et célébrités s’approprient des objets fonctionnels pour les hisser au rang d’accessoires de tendance.
La mode a toujours flirté avec le laid pour interroger le beau
rappelle une historienne de la mode.
C’est une forme de subversion visuelle. Ce que l’on considérait comme de mauvais goût peut devenir le symbole d’un avant-gardisme radical.

Un basculement culturel
En parallèle, les réseaux sociaux ont amplifié le phénomène. Sur Instagram ou TikTok, les silhouettes excentriques gagnent en visibilité et en influence. Portés par des artistes comme Doechii ou Paloma Elsesser, ces modèles transforment l’inconfort visuel en atout stylistique.
Certains y voient aussi une forme de réponse à une époque marquée par l’instabilité : le retour à des chaussures massives, protectrices, renvoie à un besoin de stabilité ou de refuge, autant qu’à une quête de différenciation. D’autres y lisent une stratégie commerciale bien rodée : créer la surprise pour déclencher la demande.
Une tendance durable ?
Si les ugly shoes divisent toujours, leur présence persistante dans les collections laisse penser qu’elles ne sont plus un simple effet de mode. Des modèles initialement jugés improbables — comme les Tabi de Maison Margiela ou les Air Rift de Nike — se vendent aujourd’hui par milliers et s’arrachent en seconde main.