Déglinguées, souillées, transpirantes… Certaines pièces de mode actuelles flirtent délibérément avec le dégoût. Provocations artistiques ou snobisme déguisé ? Retour sur quelques exemples qui interrogent la place du laid dans le luxe.
Parfois, la mode ne cherche plus à séduire. Elle provoque, déroute, voire scandalise. Qu’elles soient maculées de sueur, salies par des herbes ou détruites avant même d’avoir été portées, certaines pièces défient les codes esthétiques traditionnels. Loin d’un simple pied de nez, ce rejet de la beauté classique devient une posture assumée, entre critique sociale et performance conceptuelle.
Balenciaga, le luxe à l’usure

Balenciaga n’en est pas à sa première provocation, mais avec la sneaker “Paris” destroy, la maison franchit un nouveau cap. Inspirée de la Converse, cette chaussure en toile semble sortie d’un incendie de poubelle. Lacérée, noircie, déformée à l’extrême, elle est pourtant proposée jusqu’à 1 450 euros dans une édition limitée. Une stratégie qui interroge : s’agit-il d’un manifeste contre le consumérisme ou d’une posture cynique qui capitalise sur la laideur ?
Louis Gabriel Nouchi, sueur chic

Avec son tee-shirt à fausse trace de sueur, Louis Gabriel Nouchi brouille encore davantage les lignes. Ce vêtement, au réalisme troublant, simule l’effort physique d’un joggeur ou d’un fêtard à bout de souffle. Son prix ? 195 euros. Le clin d’œil littéraire – Les Liaisons Dangereuses – justifie, selon le créateur, une réflexion sur l’érotisme et les fluides corporels. Mais cette proposition esthétique, qui cherche à “représenter un corps qui a vécu”, suscite autant d’admiration que de scepticisme.
Gucci, salissures sous contrôle

Quand Gucci vend un jean taché d’herbe à 680 euros, le choc des valeurs est inévitable. Héritière du grunge des années 90, la pièce renvoie à une époque où l’usure était naturelle, subie, reflet d’un rejet de la société de consommation. Trente ans plus tard, cette négligence devient calculée, reproduite à grands frais, en coton bio, et sans produits chimiques. La rébellion est-elle soluble dans le luxe ?
Une mode “moche”, mais pas bête
Dans Le Goût du moche, Alice Pfeiffer rappelle que le dégoût n’est pas qu’esthétique : il est aussi politique, social, moral. Citer Karl Rosenkranz, c’est revendiquer une pensée où la laideur incarne un refus : celui d’un monde normé, policé, figé. La mode s’empare de ce “dégueulasse” pour en faire un langage. Quitte à choquer.
L’audace stylistique n’est-elle pas devenue un argument marketing comme un autre ? L’insolence a encore un sens lorsqu’elle est tarifée à quatre chiffres.