À la Fondation Louis Vuitton, l’exposition Open Space #16 prend une tournure singulière. Jusqu’au 31 août, l’artiste franco-guyanaise Tabita Rezaire y installe Des/astres, une œuvre cinématographique immersive projetée dans un carbet – architecture traditionnelle d’Amazonie – construit au cœur de la galerie. Plus qu’un simple film, il s’agit d’une traversée cosmique, sensorielle et spirituelle, à la croisée de l’art, de l’ethnographie et de la quête mystique.
Des/astres est le dernier volet d’une trilogie consacrée aux relations entre les êtres humains et le cosmos, initiée en 2019 avec Mamelles Ancestrales, puis poursuivie avec Orbit Diapason. Si les deux premiers volets s’attardaient sur les mégalithes d’Afrique de l’Ouest et du Sud et sur leurs dimensions funéraires ou extraterrestres, Des/astres s’ancre dans la terre amazonienne de Guyane, où Tabita Rezaire réside depuis 2018. Tourné sur plusieurs années, ce film s’élabore comme un tissage sensible entre cosmogonies autochtones, spiritualités vivantes, mémoire ancestrale et enjeux politiques contemporains.
L’artiste donne à voir et entendre une pluralité de voix : chefs coutumiers, astronomes, guérisseurs, conteurs, villageois… Tous prennent part à cette cartographie céleste qui entremêle récits traditionnels, pratiques rituelles et observation scientifique du ciel. Ces témoignages, recueillis au fil des voyages de Rezaire à travers la Guyane et le Suriname, révèlent l’épaisseur invisible du territoire et les manières singulières qu’ont ses habitants de dialoguer avec l’au-delà.

Installé sous un dôme végétal, le spectateur est invité à s’allonger dans des hamacs pour contempler les images projetées sur un écran ovoïde suspendu. Le dispositif, inspiré des soirées Carbet Planétarium organisées par Rezaire et son collectif Amakaba dans les villages guyanais, renverse le rapport traditionnel au cinéma : ici, on regarde le ciel, au sens propre comme au figuré. Le film devient cérémonie.
Derrière la caméra, Tabita Rezaire s’efface. Contrairement à ses œuvres précédentes, où son corps occupait une place centrale, Des/astres témoigne d’une volonté de retrait. L’artiste s’impose davantage comme passeuse, médiatrice d’un savoir collectif et pluriel, nourri autant par la science que par le sacré. Le langage numérique et les avatars en 3D cèdent la place à des images documentaires tournées sur le terrain, ancrées dans la matière du monde : forêts, rivières, feuillages, gestes et voix humaines.


Cette métamorphose artistique trouve son origine dans un bouleversement de vie. En 2020, Tabita Rezaire fonde Amakaba, un centre implanté en pleine forêt amazonienne, où elle enseigne le yoga, cultive des plantes médicinales, fabrique du cacao, accompagne des naissances. Une démarche holistique, tournée vers la reconnexion à la terre, au corps et au divin. De cette immersion dans la nature jaillit un art nouveau, moins technologique mais tout aussi sophistiqué, fait de poterie, de teinture végétale, de savoirs oraux et de présence silencieuse.
Des/astres n’est pas un film sur la Guyane. C’est un chant adressé aux étoiles depuis la forêt. C’est une tentative de réenchanter notre relation au cosmos, loin des logiques extractivistes ou coloniales qui planent, ironiquement, au-dessus du centre spatial de Kourou. À la Fondation Louis Vuitton, Tabita Rezaire ne propose pas une œuvre à regarder, mais une expérience à vivre, un moment suspendu entre ciel et terre. Une invitation à repenser la technologie comme énergie spirituelle, et l’art comme rituel de guérison.
Open Space #16 – Tabita Rezaire, Des/astres. Jusqu’au 31 août 2025. Fondation Louis Vuitton, Paris (XVIe). Plus de renseignements sur fondationlouisvuitton.fr