Les quatre capitales de la mode – New York, Londres, Milan, Paris – ont muté, grondé, inversé les polarités. On a vu de jeunes créateurs prendre les trônes de maisons mythiques, des signatures historiques se réinventer comme des phénix numériques, et des coutures se transformer en manifestes. Bref, la mode a (re)commencé à parler une langue vivante.
On pensait avoir tout vu : la nostalgie 2000 recyclée jusqu’à l’os, le minimalisme post-pandémie aseptisé. Et pourtant, cette saison, tout a changé. Quinze nouveaux directeurs artistiques, une énergie d’éruption et un constat limpide : 2026 est déjà l’année la plus dense, la plus politique et la plus risquée de ce siècle.
Alaïa : Mulier, l’ombre du maître et la lumière du geste

Chez Alaïa, Pieter Mulier ne copie pas Azzedine : il le convoque.
Deux écrans LED plats comme des miroirs d’eau projettent des visages féminins démesurés, pendant que les mannequins tournent autour, presque religieuses. Les robes glissent, se tendent, se plissent. Des coques structurent la poitrine, des franges traversent la diagonale du corps comme des traits de pinceau.
C’est la volupté, oui, mais sans le gras ni le fétichisme. Une sensualité rationnelle, géométrique. Et ce perfecto en cuir qui devient robe : un coup de génie, une caresse coupante. Pieter Mulier n’imite pas : il poursuit une conversation.
Bottega Veneta : Louise Trotter, la méthode du calme

Alors que la mode s’agite, Bottega Veneta médite.
Louise Trotter a trouvé le moyen de rendre le cuir léger comme une chemise d’été. Des trenchs flottants, des capes effleurantes, des blazers qui respirent. Les détails en intreccio – ce tressage signature – deviennent presque abstraits, discrets comme un murmure.
C’est du luxe sans cris, du beau sans spectacle. L’élégance en mouvement lent. Dans ce monde d’excès, Bottega Veneta joue la carte du contrôle absolu. Et ça fait du bien.
Chanel : Matthieu Blazy, le grand chamboulement

Quand Matthieu Blazy arrive chez Chanel, il n’y va pas à petits pas : il explose la vitrine.
Sa collection est un collage brillant entre mémoire et science-fiction. Une jupe portefeuille tissée de fils d’or ; des denims bruts ; des tartans translucides ; et surtout, un décor monumental de planètes gonflées, illuminées de l’intérieur. Karl Lagerfeld aurait adoré la folie de la mise en scène – Coco Chanel, peut-être un peu moins.
Le tailleur survit à tout, même à sa propre légende. Chez Matthieu Blazy, il devient laboratoire.
Et Paris l’a acclamé comme on salue un empereur revenu d’exil.
Dior : Jonathan Anderson fait exploser la Bar Jacket

Entrer chez Dior après des décennies d’interprétations sages, c’est comme reprendre Hamlet : tout le monde a une opinion.
Jonathan Anderson, lui, ne cherche pas à plaire. Il fait de Dior un terrain d’expérience. Sa veste Bar est tordue, dynamitée, repensée. Ses jupes tournent, ses volumes défient les proportions.
Le film d’ouverture signé Adam Curtis transformait l’histoire de la maison en documentaire philosophique. Le défilé, ensuite, enfonce le clou : Dior devient un concept, un corps en mutation.
Une collection qui a autant parlé aux yeux qu’au cerveau.
Diotima : la beauté insoumise du carnaval

À New York, Diotima a secoué la torpeur du calendrier.
Rachel Scott transforme le carnaval caribéen en cri politique : la mode comme mémoire, la couture comme arme. Les mannequins, couverts de taches de boue argentée, défilent en crêpe, résille et jupe superposée. Les corps dansent, presque.
C’était sale, vivant, spirituel. La beauté du désordre face à l’histoire coloniale. Le genre de collection qui rappelle pourquoi la mode a encore quelque chose à dire.
Armani : la dernière lumière

Quand Giorgio Armani est parti, Milan s’est arrêté.
Vingt-quatre jours plus tard, sa dernière collection a été montrée à la Pinacothèque de Brera.
Pas de pathos, pas de nostalgie : du pur Armani. Des coupes aériennes, des matières qui bougent comme la mer autour de Pantelleria, son île fétiche. La mode perd un roi, mais pas son royaume. Son style – la simplicité sculptée – plane encore sur toute la ville.
Givenchy : Sarah Burton en mode femme fatale

Givenchy se réveille du coma. Sarah Burton, tout juste arrivée, transforme la maison en laboratoire de séduction noire. Des blouses d’officiers, des robes à décolletés tranchants, des pantalons blancs stricts, du cuir comme un uniforme. C’est du pouvoir, du contrôle, de la tentation.
La beauté n’est plus douce : elle est armée.
Khaite : la grâce des fissures

Catherine Holstein continue son exploration du chic américain désabusé. Le décor : un étang noir, des glaciers, de la brume. L’ambiance : spleen et résistance.
Ses vestes de pêcheur, ses blazers stricts, ses tissus craquelés disent tout d’un pays en tension. Khaite, c’est la poésie du désordre, le luxe de la lucidité.
Louis Vuitton : Nicolas Ghesquière, le baroque multiculturel

Inspiré par l’appartement d’Anne d’Autriche, Nicolas Ghesquière a livré une collection-symphonie : XVIIIe siècle et culture rave, dentelles et leggings-pantalons, tapisseries et bottes futuristes.
Un choc visuel d’une précision folle.
Chez Vuitton, on n’explique plus la mode : on la contemple comme un phénomène climatique.
Prada : Miuccia, encore et toujours

On croyait tout savoir d’elle ; elle nous échappe encore.
Chez Prada, soutiens-gorge minimalistes sous taffetas technique ; chez Miu Mix, douze jours plus tard, explosion de tabliers et de transparences.
Miuccia Prada continue d’écrire la mode comme un poème postmoderne : entre la ménagère et la muse. Et personne, absolument personne, ne la comprend vraiment. C’est pour ça qu’on l’adore.
Simone Rocha : les princesses désabusées

Simone Rocha réinvente la féminité en la fissurant.
Des crinolines en organza, des brassières en sequins, des fleurs XXL plaquées sur des robes gigantesques. Tout est trop – trop grand, trop doux, trop fragile.
Et pourtant, l’émotion est là : ces “débutantes” semblent sortir d’un bal où personne ne danse plus.
Un romantisme punk, sublime et dérangé.
Versace : Dario Vitale et la renaissance du glamour

À Milan, Dario Vitale a transformé Versace en une explosion pop.
Une lettre d’amour à Gianni, version 2026 : shorts ultra-courts, chemises ouvertes, couleurs South Beach et énergie disco.
Ce n’est pas un hommage ; c’est une résurrection.
Dario Vitale redonne à Versace ce qui manquait depuis vingt ans : le plaisir pur.
Et au bout du compte ?
Cet été 2026, la mode a cessé de chercher à plaire. Elle s’est mise à vivre, à douter, à rire, à pleurer. Les maisons ont ouvert les fenêtres, les jeunes ont cassé les cadres, et les femmes – souvent – ont repris la parole. Le résultat ? Douze défilés, douze manifestes. Un message, surtout : la mode n’est plus une industrie. C’est un langage. Et cette saison, il était parfaitement parlé.





