Depuis plusieurs mois, une expression du visage intrigue les internautes et interroge les sociologues : le « Gen Z Stare ». Popularisé sur TikTok et d’autres plateformes sociales, ce regard figé, sans émotion apparente, est devenu un véritable phénomène viral.
On le reconnaît facilement : de grands yeux ouverts, une posture immobile, une absence d’expression qui peut paraître distante, voire provocatrice. Ce n’est ni de la fatigue, ni de l’indifférence, mais un refus assumé d’entrer dans le jeu des codes traditionnels de communication.
À travers des vidéos souvent mises en scène dans des contextes professionnels — employés d’accueil, caissiers ou serveurs — des jeunes membres de la génération Z (nés entre 1997 et 2010) adoptent ce regard face caméra ou face au client, laissant planer une ambiguïté : lassitude ? ironie ? déclaration silencieuse ?
Entre posture sociale et symptôme générationnel
Selon plusieurs analystes culturels, le « Gen Z Stare » n’est pas simplement un mème ou une blague. Il s’inscrit dans un contexte plus large de transformation des normes sociales, notamment chez les plus jeunes. Dans une société hyper-connectée où la performance et l’expressivité sont valorisées, ce regard neutre serait une forme de réaction — voire de protection.
Ce n’est pas une absence d’émotion, c’est un retrait volontaire
explique la sociologue Laurence Allard, spécialiste des usages numériques.
Le Gen Z Stare est une réponse à une injonction constante à paraître, à sourire, à interagir de manière codifiée.
Des racines culturelles profondes
Le phénomène s’inspire d’esthétiques antérieures. Dans les années 1990, le mannequin Kate Moss popularisait déjà un air distant dans les campagnes de mode. Plus tard, des célébrités comme Kristen Stewart ont revendiqué leur droit à ne pas sourire sur les tapis rouges. L’ère Tumblr des années 2010 a aussi cultivé une forme de détachement esthétique.
Aujourd’hui, cette posture est amplifiée par les plateformes numériques, où chaque expression est enregistrée, rejouée et diffusée. Des figures de la Gen Z comme Emma Chamberlain ou Jenna Ortega incarnent cette nouvelle relation à l’image, où le contrôle ne passe plus par la mise en scène mais par le retrait émotionnel.
Entre incompréhension et affirmation identitaire
Pour les générations précédentes — baby-boomers ou millennials —, cette attitude peut dérouter. Elle est parfois perçue comme un manque de politesse, un désengagement, voire un signe d’apathie. Mais pour beaucoup de jeunes, il s’agit au contraire d’une manière de revendiquer un rapport plus sincère au monde, sans fausse jovialité ni sourire de convenance.
Dans un article publié par Business Insider, des psychologues évoquent une fracture générationnelle liée à la pandémie, à la montée de l’anxiété sociale, et à une reprogrammation des relations humaines à travers les écrans. Le « Gen Z Stare » serait ainsi le reflet d’un monde où la communication est en train de se redéfinir.
Un langage en mutation
Loin d’être un simple phénomène de mode, le « Gen Z Stare » pourrait bien annoncer une évolution plus profonde de nos interactions sociales. Il remet en question l’obligation de performance émotionnelle, notamment dans les sphères professionnelles ou publiques.
S’agit-il d’une tendance passagère ou d’un nouveau langage corporel en devenir ? Difficile à dire. Mais une chose est sûre : dans un monde saturé de sollicitations, ce regard figé devient une manière de dire stop, sans avoir besoin de mots.





