Pour la première fois depuis sa fondation au XVIIe siècle, la prestigieuse Galleria Borghese ouvre ses portes à une artiste contemporaine. Wangechi Mutu, figure majeure de la scène artistique internationale, investit la villa baroque avec Black Soil Poems, une exposition qui chamboule les codes, les corps, et l’histoire.
Présentée jusqu’au 14 septembre 2025, cette exposition bénéficie du soutien de FENDI, partenaire officiel du projet. La maison italienne poursuit ainsi son engagement en faveur de la création contemporaine, en accompagnant une artiste dont la pratique artistique est à la fois audacieuse, politique et profondément ancrée dans les imaginaires africains.
Dans les salons dorés et marbrés de cette ancienne demeure du cardinal Scipione Borghese, berceau du classicisme italien, surgissent des formes hybrides, suspendues, fragmentées. Sculptures en bronze, vidéos, installations végétales… L’artiste kényano-américaine impose un nouveau vocabulaire plastique, à la fois ancré dans les traditions africaines et résolument tourné vers l’avenir.
Je ne viens pas pour remplacer les chefs-d’œuvre, mais pour leur parler autrement
explique Wangechi Mutu lors du vernissage, devant un public partagé entre fascination et stupeur.
Le titre Black Soil Poems — « poèmes de terre noire » — évoque une matière fertile, malléable, presque sacrée. Une terre qui renaît, transforme, transmet. Partout dans le musée, les œuvres semblent émerger du sol ou flotter dans l’air, telles des mémoires oubliées revenues hanter le présent. Dans une salle, deux têtes de bronze pleurent en silence. Dans une autre, des formes légères planent entre les toiles de Raphaël et de Titien.

Mais cette suspension n’est pas qu’esthétique. Elle remet en question la gravité du récit occidental, son autorité figée. À la Galleria Borghese, Mutu ne juxtapose pas : elle interroge. Que voit-on ? Et surtout : que ne voit-on pas ? Qui manque à l’image ?
Une réécriture des mythes
À l’extérieur, les Jardins Secrets se peuplent de figures mystérieuses. The Seated I, Water Woman, Nyoka… Mi-déesses, mi-statues, elles gardent les lieux comme des vestales postcoloniales. Dans un coin, une vidéo animée (The End of Eating Everything) projette sur écran le cauchemar d’une créature tentaculaire avalant le monde — une allégorie aussi grotesque que politique.
Mutu n’en est pas à son coup d’essai. Révélée dans les années 2000, elle a exposé au MoMA, à la Biennale de Venise, et au Metropolitan Museum de New York. Ses œuvres, profondément féministes, écologiques et décoloniales, renversent les stéréotypes sur le corps noir, la femme, et l’héritage africain.
L’art comme mémoire et révolte
L’exposition culmine à l’American Academy in Rome, où une sculpture intitulée Shavasana I repose, immobile, sous un tapis de paille. Inspirée par un fait divers tragique, elle évoque le yoga, la mort, la dignité des invisibles. Un écho silencieux aux violences policières et aux oubliés de l’histoire mondiale.
Le tout est porté par une bande-son discrète mais puissante : des chants, des bribes de poèmes, un extrait du discours d’Haïlé Sélassié à l’ONU en 1963. Le tout glisse dans l’oreille comme un fil de mémoire.

Un musée en mutation
Avec Black Soil Poems, la Galleria Borghese poursuit sa mue. Après Penone et Louise Bourgeois, le musée affirme son ambition d’ouvrir les fenêtres du passé à l’air du présent. Un pari osé, parfois contesté, mais salutaire. Car ici, pour une fois, ce ne sont pas les chefs-d’œuvre qui brillent, mais ce qu’ils ont toujours tu.
Black Soil Poems, Wangechi Mutu – Galleria Borghese, jusqu’au 14 septembre 2025. Plus de renseignements sur galleriaborghese.beniculturali.it