La photographe américaine Donna Trope présente pour la première fois en France une sélection inédite de ses Polaroïds, à la galerie Carole Lambert. Une exposition déroutante, entre glamour outrancier et critique des normes esthétiques.
À la galerie Carole Lambert, nichée dans le Haut-Marais, les murs s’habillent de clichés que le public n’a, pour la plupart, jamais vus. Polaroïds en noir et blanc, formats bruts, parfois imprécis, souvent saisissants : il s’agit des images de travail de Donna Trope, photographe américaine reconnue pour son esthétique hyperféminine, stylisée et résolument provocante. L’exposition, simplement intitulée POLAROIDS, est visible jusqu’au 24 septembre 2025.
Connue pour ses campagnes de mode percutantes et ses séries éditoriales audacieuses, Donna Trope a longtemps collaboré avec de grandes maisons de couture et des magazines internationaux. Mais ici, nul strass ni retouche : l’artiste dévoile l’envers du décor. Ces Polaroïds, réalisés entre les années 1990 et 2010, servaient à tester la lumière, la composition, les poses — en somme, à préparer l’image finale, souvent en couleur. Ce sont ces esquisses photographiques, conservées avec soin, que Trope choisit aujourd’hui de montrer.


Une archive sensible et subversive
Plus de 25 000 images composent cette collection, dont une sélection a été retenue avec la commissaire Fany Dupêchez. Ensemble, elles forment une sorte de journal visuel, à la fois technique et émotionnel. On y découvre des corps féminins stylisés, souvent mis en scène de manière théâtrale, entre sensualité assumée et mise à distance critique.
Une jeune femme au visage ceinturé de feuillage évoque les soins cosmétiques à base de plantes ; une autre affiche un visage scindé en deux, mi-maquillé, mi-naturel, pour évoquer les effets psychologiques du Botox. Plus loin, une mannequin semble mâcher une liste de régimes alimentaires, métaphore acerbe d’une industrie de la minceur poussée à l’absurde.
Ces images étaient, à l’origine, des outils de travail. Des tests. Mais elles révèlent souvent plus que les clichés finaux
explique Donna Trope dans le texte d’introduction de l’exposition.
Elle y revendique une approche lente, presque artisanale, de la photographie — à rebours de l’instantanéité numérique actuelle.

Un regard sur la beauté, entre fascination et dérision
Depuis ses débuts, l’artiste originaire de Los Angeles explore les limites de l’image de beauté. Son style, mêlant esthétisme pop, ironie fétichiste et rigueur technique, interroge frontalement les représentations de la féminité dans la culture visuelle contemporaine. Tour à tour séductrices, distantes ou déstructurées, ses figures féminines agissent comme des reflets critiques de l’imagerie publicitaire ou médiatique.
Si certaines images peuvent déranger ou surprendre, c’est précisément l’intention de l’artiste : pousser à la réflexion, au-delà du premier regard. “Chez Donna Trope, la beauté n’est jamais un objectif en soi, mais un terrain de jeu et d’interrogation”, résume Fany Dupêchez.
Un moment rare pour le public français
POLAROIDS marque la première exposition monographique de Donna Trope à Paris. L’événement s’inscrit dans un regain d’intérêt pour les archives photographiques analogiques, à l’heure où la surproduction numérique tend à diluer la singularité de l’image. La galerie Carole Lambert rend ici hommage à une œuvre visuelle audacieuse, où chaque Polaroïd devient un fragment d’histoire — celle d’une vision de la femme moderne, à la fois puissante et vulnérable, fabriquée et subversive.
Exposition Donna Trope — POLAROIDS. Galerie Carole Lambert, 81 rue du Temple, Paris (IIIe). Jusqu’au 24 septembre 2025. Entrée libre. Plus de renseignements sur galeriecarolelambert