On ne sait plus très bien si Alexis Sablone est une architecte qui sk8, ou une skateuse qui dessine des bâtiments. Une chose est sûre : elle ne fait rien comme tout le monde. Aux antipodes des starchitectes en col roulé noir et PowerPoint verbeux, Alexis Sablone débarque au World Around Summit 2024 avec une photo du Palais de Justice de New York. Pas pour en commenter les colonnes. Non. Pour désigner une pente parfaite pour un trick. Voilà. Le ton est donné.
Alexis Sablone voit la ville comme une matière première. Pas un décor. Une collection de surfaces à apprivoiser, détourner, transformer. Un trottoir fissuré devient une rampe. Un banc en marbre poli, une opportunité. Une médiane, un tremplin. Skater, c’est lire l’espace à hauteur de genoux, avec le nez à trente centimètres du béton. Une autre forme d’expertise urbaine, en somme.
Et cette lecture intuitive de l’espace, Alexis Sablone l’a élevée au rang de méthode. Diplômée de Barnard et du MIT, olympienne à Tokyo en 2020, architecte, artiste et designer à temps plein, elle fusionne disciplines avec une agilité qu’on aurait presque envie d’appeler spatiale. L’un de ses projets phares ? Lady in the Square (Malmö, Suède, 2021), une sculpture monumentale vue du ciel comme un visage surréaliste, et vue du sol comme un skatepark… ou pas. Car ce n’est pas un skatepark. C’est un objet non identifié, une aire publique non hiérarchisée. On y joue, on y flâne, on y glisse. On y fait ce qu’on veut.

Même approche à Montclair (New Jersey), où Candy Courts transforme un court de tennis en aire de jeu multicolore, sans manuels ni parcours balisé. Pas de “zone débutant” ni de “rail pro”. Rien d’évident. Et c’est tout le propos. Sablone refuse les évidences. Dans Candy Courts, les formes sont étranges, les lignes imprévisibles. Le skater doit faire l’effort d’interprétation. L’enfant aussi. On est loin du mobilier urbain “pédagogique” ou des modules standardisés pour skateparks de banlieue.
En filigrane, une critique implicite : et si concevoir pour les skaters, c’était déjà trahir l’essence du skate ? Car toute l’histoire du skateboard s’est construite sur l’appropriation sauvage de l’espace public. Skater un musée, un escalier municipal, un parking. Réinterpréter l’urbain, contre son usage prévu. Alors comment concevoir un espace de skate sans l’apprivoiser à mort ? La réponse de Sablone : en brouillant les pistes. En créant des objets hybrides, ludiques, sculpturaux, ouverts.




À mi-chemin entre sculpture urbaine, terrain d’expérimentation physique et espace public déhiérarchisé, ses projets jouent de cette ambiguïté fertile. Le tout avec une rigueur de dessin affûtée. Car sous ses airs de poétesse de la glisse, Sablone est une redoutable technicienne. Le dessin, chez elle, est plus qu’une méthode : c’est un tamis à idées. Ça crayonne, ça rature, ça recommence. Et parfois, ça bloque. Trop de précision tue l’élan. D’où le besoin de passer au concret, de sortir de la tête. Sablone est lucide : l’architecture peut être mentale, mais le skate, lui, ne pardonne pas. On tombe, on recommence, on s’abîme. Et puis on recommence encore. Il y a dans cette répétition une forme d’ascèse. Et un lien évident avec le design.
Aujourd’hui, elle travaille sur Sun Seed, un monolithe rouge vif intégrant une “pump track” — ce circuit ondulé réservé aux plus souples. Là encore, sculpture ou skatepark ? Aucun des deux, ou les deux à la fois. Et aussi un projet à New Haven, sous une autoroute, pour reconnecter des quartiers en intégrant des jeux et du skate. À l’image de sa boutique Plush, installée dans cette même ville, qu’elle a conçue de A à Z, du logo à l’étagère. Toujours cette idée de fusion des rôles : skater, designer, construire, détourner, transmettre.
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