Entre deux continents, un téléphone à la main et un regard tourné vers les artisans, Sylvain Marcoux fait du design un acte d’amour. Montréal l’a vu naître, Paris l’a façonné, Mexico l’a ensorcelé. Résultat : un projet à la croisée du beau, du sens et du hasard. Bienvenue dans le monde délicatement précis d’un passeur de beauté.
On pourrait commencer cette histoire dans un atelier à Oaxaca, au milieu de la poussière de terre noire, là où des mains façonnent des vases qui semblent sortis d’un rêve. Mais non. Tout débute à Montréal, dans une chambre tapissée de livres et de posters d’art. Sylvain Marcoux a dix-huit ans et une conviction : la beauté est un besoin vital, pas un luxe. Alors, pendant que d’autres investissent l’argent de leur bac dans des voyages, lui achète son premier tableau. C’est un peu fou, un peu romantique. C’est aussi le début d’une addiction.
Très vite, il collectionne, rencontre, questionne. Les artistes deviennent ses maîtres et ses amis. Mais déjà, le jeune homme regarde ailleurs. L’ailleurs, justement : il a besoin de l’entendre, de le parler. En 1981, il part à Londres apprendre l’anglais chez des cousins. Il y découvre deux choses : l’autonomie et la photographie argentique. Les clichés noir et blanc de cette époque, pleins de brume et de solitude, annoncent déjà le ton de sa vie : un mélange de poésie et de précision.

Paris, la belle
Quatre ans plus tard, Paris. La révélation. Il tombe amoureux de la ville comme on tombe amoureux d’une personne : irrémédiablement. La Rive Gauche, les galeries, les cafés où l’on disserte sur Sartre et le sens de la beauté, tout le subjugue. Même lorsqu’il rentre au Québec, la ville-lumière ne le quitte pas. En 1989, il cède : “le prochain voyage sera sans retour”. Le ton est donné.
À Paris, Sylvain Marcoux devient un homme d’art dans le vrai sens du terme. Une rencontre change tout. Une historienne de l’art, commissaire indépendante, qui lui ouvre les portes des grandes expositions. Ensemble, ils signent deux projets phares : Chagall en Russie et Diego Rivera – Frida Kahlo, présentés à la Fondation Gianadda puis au Musée Maillol. Durant douze ans, Sylvain Marcoux apprend le métier sur le tas, du montage d’une toile de maître à la rédaction d’un catalogue, du plan de table à la recherche de financements. La rigueur suisse, la folie mexicaine et le charme parisien réunis en une seule personne.

Le design comme territoire
En 2001, nouveau virage. Sylvain Marcoux intègre Artcodif, la maison d’édition du Musée des Arts Décoratifs. Il y découvre le design, cet art de vivre qui dit le monde sans discours. Il y croise des noms devenus mythiques : Éric Jourdan, Jean-Baptiste Sibertin-Blanc, Marco Mencacci… Il comprend que les objets aussi ont une âme — surtout quand ils sont pensés avec respect.
Trois ans plus tard, il rejoint la SAFI, la société qui pilote Maison & Objet. Le salon du design devient son terrain de jeu. Sa première mission ? Concevoir une exposition sur les artistes décorateurs. Traduction : construire un pont entre les disciplines, encore. Et ce rôle, il le tiendra toute sa vie.
En 2008, il passe chez Camper. Une marque espagnole, un projet hybride, des designers invités à dessiner des chaussures. Le projet Toðer (l’un des premiers à croiser design et mode) lui permet d’orchestrer des collaborations signées Jaime Hayon, Jasper Morrison, Bernhard Willhelm. Il organise aussi l’ouverture de la boutique place de l’Opéra à Paris, conçue par Tokujin Yoshioka. Un moment de grâce : la poésie du Japon dans la pierre haussmannienne.
Puis vient Vitra. En 2011, Sylvain Marcoux devient le porte-voix français de l’éditeur suisse. Il approfondit sa connaissance des classiques, fréquente les plus grands noms du design contemporain, de Hella Jongerius à Barber & Osgerby. Son métier ? Traduire les idées en émotions, faire circuler la beauté. Bref, tisser des liens — encore et toujours.


Mexico, la révélation en technicolor
Mais la beauté, chez Sylvain Marcoux, n’a jamais été immobile. Et c’est au Mexique que son histoire bascule une seconde fois. Noël 2011, Puerto Escondido. La lumière, la chaleur, les rires, l’architecture moderniste qui s’érode au soleil. Puis Mexico, la capitale : un chaos ordonné, vibrant, coloré. Le coup de foudre est immédiat.
C’était comme Paris, mais avec le cœur en plus
confie-t-il.
Le pays, sa culture, son artisanat, tout le fascine.
Il comprend alors qu’il a trouvé un nouveau terrain de jeu : le dialogue entre le design européen et les savoir-faire mexicains.
C’est ainsi que naît Maison Marcoux Mexico, un projet à la fois puriste et visionnaire. L’idée ? Inviter des designers contemporains européens à collaborer avec des artisans mexicains sur des matériaux ancestraux — poterie, argent, tissage, obsidienne. Plus qu’un concept, une rencontre entre les mondes.
Je voulais créer des objets qui racontent une histoire à deux voix
résume-t-il.
Vision y Tradición : la naissance d’un langage
En 2018, Mexico devient World Design Capital. L’occasion parfaite. Sylvain Marcoux est invité à présenter Maison Marcoux Mexico lors de la Mexico Design Week. Il réunit la Française Constance Guisset et le Mexicain Adán Carabes : duo improbable, alchimie parfaite. De cette collaboration naît la collection Mezcalienne, un hommage à la terre noire de Oaxaca.
Les pièces — table Sombrero, carafe Penacho, vases sculpturaux — reprennent les codes du rituel et du rêve. Constance Guisset parle d’“aventures mexicaines incroyables, choc des couleurs et des matières, entrecoupé de danse.”
Présentée au Museo Nacional de Antropología, puis à Paris, Londres et Milan, la collection devient culte. Le barro negro, cette argile noire polie jusqu’à la brillance, devient la signature de la maison. Les vases semblent respirer, les lignes vibrent. On y sent la main de l’artisan et la pensée du designer. De l’ombre à la lumière, en somme.

Héritage : la continuité du geste
La suite s’appelle Heritage. Un projet porté en 2022 par le designer mexicain Raúl de la Cerda, réalisé à San Bartolo Coyotepec par le maître Felipe Fabián Pedro. Des vases préhispaniques au parfum de modernité, des surfaces polies comme des miroirs d’obsidienne. Exposée à Paris, Milan, au Grand Palais Éphémère, la collection parle de mémoire et de transmission.
Et parce qu’il n’aime pas les cadres figés, Sylvain Marcoux pousse plus loin : installations scénographiques, dialogues entre collections, hommages à la fête des morts. En 2024, il conçoit “L’autel d’un collectionneur”, une installation poétique présentée chez Cosentino Paris City. Cette fois, il mêle ses deux univers — Paris et Mexico — dans une célébration du lien. On y trouve les pièces de Mezcalienne et Heritage, des bougies, des fleurs, des photos d’artisans. Un pont entre la vie et la création.
Sylvain, le passeur élégant
Sylvain Marcoux, c’est un peu le personnage de film de Wong Kar-wai égaré dans le monde du design. Toujours impeccable, il parle avec douceur mais agit avec précision. Les mots “beauté”, “respect” et “équilibre” reviennent souvent dans sa bouche.
À l’heure où le design s’emballe pour les algorithmes et les tendances express, il choisit la lenteur du geste. “Le luxe, aujourd’hui, c’est le temps”, aime-t-il dire. Et ce temps, il le consacre à tisser, à relier, à faire dialoguer. Son métier, au fond, n’est ni curateur, ni communicant, ni directeur artistique : il est passeur.
Juan Coronel Rivera, petit-fils de Diego Rivera, l’a résumé mieux que quiconque :
Conocí la labor de Sylvain Marcoux en el campo de las artes hace veinte años. Cuando
colaboramos en la realización de una muestra sobre Diego Rivera. Entonces descubrí el gran
interés que tiene por la cultura mexicana.(trad. : Je connais le travail de Sylvain Marcoux dans le domaine des arts. Il y a vingt ans, nous avons collaboré à la réalisation d’une exposition sur Diego Rivera. C’est alors que j’ai découvert le grand intérêt qu’il porte à la culture mexicaine.)

Beauté et fraternité
Aujourd’hui, Maison Marcoux Mexico est une philosophie. Refuser de choisir entre hier et demain, entre l’Europe et l’Amérique latine, entre artisanat et design. Ses collections s’exposent à Paris, Londres, Milan. Mais elles respirent toujours l’air chaud de Oaxaca.
Chaque pièce raconte la même histoire : celle d’une main qui façonne, d’un regard qui écoute, d’un monde qui se parle.
Et si la beauté sauvera le monde, comme le disait Dostoïevski, Sylvain Marcoux en est l’un des messagers les plus convaincus. Pas de slogans, pas de postures. Juste un homme qui sait que le beau, quand il est vrai, ne connaît pas de frontières.
Plus de renseignements sur maisonmarcoux.com





